Oumar BANGOURA, Expert Juriste à l’ARREC: Le client éligible dans l’espace CEDEAO : Du concept à la pratique…
Dans ce papier, Monsieur Oumar BANGOURA, expert juriste à l’ARREC donne des explications sur le processus de construction du marché régional d’électricité dans l’espace CEDEAO. Lisez plutôt!
Définition du concept et fondements juridiques
Le terme « clients éligibles » désigne les clients qui sont libres d’acheter de l’électricité auprès du fournisseur de leur choix. Selon ce critère, un marché de l’énergie électrique est totalement ouvert et concurrentiel lorsque tous les clients, consommateurs d’électricité, ont cette option.
La notion de « client éligible » va avec celle de l’accès ouvert au réseau de transport d’électricité qui est un élément essentiel pour l’instauration d’un marché de l’électricité ouvert et concurrentiel, aussi bien au niveau national que régional. L’accès ouvert au réseau est relatif à la possibilité pour toute personne éligible de vendre ou d’acheter l’électricité, à un prix reflétant les coûts, et pouvant, selon un mécanisme transparent de système de sécurité, se connecter et utiliser les systèmes de transport et de distribution, quel que soit le propriétaire et l’opérateur du réseau d’électricité.
Conditions de mise en œuvre
Ces nouveaux droits pour les consommateurs, « clients éligibles », s’inscrivent ainsi dans le cadre de l’ouverture à la concurrence d’un marché de l’électricité.
Pour cela, il faut (i) un gestionnaire du réseau de transport indépendant et soumis à des obligations de stricte neutralité et de confidentialité et (ii) un régulateur indépendant pour veiller au respect des nouvelles règles d’accès et d’utilisation des réseaux. C’est pourquoi il faut une loi pour organiser et garantir un accès non discriminatoire et équitable de tous ces utilisateurs aux réseaux (l’acheminement de l’électricité reste une activité exercée de façon monopolistique, et doit, à ce titre, régulée par les pouvoirs publics).
Comment ça marche ?
D’abord il faut déterminer qui est éligible. Très souvent le législateur fixe un seuil : Les clients « éligibles » sont ceux dont la consommation annuelle d’électricité sur un site dépasse un certain seuil fixé par la loi. Si la consommation d’un site est supérieure ou égale au seuil réglementaire, le site de consommation est éligible et doit faire l’objet d’une déclaration auprès de l’autorité en charge pour bénéficier de son éligibilité.
L’appréciation de l’éligibilité d’un consommateur se fait pour chacun de ses « sites de consommation ». Les autorités en charge de la réglementation de l’éligibilité tiennent et gèrent la liste des consommateurs éligibles (Ministère ou Régulateur). Cette liste (publiée au Journal officiel) vise à garantir la transparence du marché de l’électricité à l’égard de tous les fournisseurs potentiels. Cette liste n’est pas limitative, et tout consommateur respectant les critères peut faire valoir son éligibilité à n’importe quel moment en faisant une déclaration afin d’y être inscrite.
Un client éligible peut alors organiser une consultation de différents fournisseurs d’électricité, sur la base des éléments de sa consommation des années précédentes, et en cas d’accord, un contrat d’accès au réseau est conclu avec le gestionnaire du réseau public auquel le client est relié pour acheminer l’électricité. Celui alors, dans la plus grande neutralité doit lui assurer cet accès au réseau. L’accès et l’utilisation des réseaux sont régulés par un régulateur indépendant qui dispose d’un pouvoir d’enquête, d’arbitrage et de sanction à cet effet.
Effets bénéfiques pour les Etats, les clients, les populations
Le principe de non-discrimination est la garantie de l’accès au marché pour les fournisseurs alternatifs entrant sur le marché de l’énergie et au développement d’une juste concurrence au profit du consommateur final. L’éligibilité est donc susceptible de leur permettre de négocier des réductions de leur facture d’électricité.
Du côté de l’offre, elle devrait permettre, par la concurrence qu’elle instaure, de rendre les entreprises de production et de distribution plus performantes et plus compétitives. La qualité de fourniture s’en trouverait aussi améliorée.
Rôle de l’ARREC dans la mise en œuvre de la mesure
L’ARREC qui, en guise de rappel, s’occupe de la régulation des échanges transfrontaliers d’électricité entre Etats membres de la CEDEAO, est chargé, avec l’EEEOA (Système d’échanges d’énergie électrique ouest africain) du développement d’un marché régional de l’électricité ouvert et concurrentiel. A cet effet, une Directive a été adoptée par la CEDEAO pour l’organisation de ce marché.
Cette Directive, tout en définissant les principes généraux régissant le marché régional de l’électricité comme stipulé dans le Protocole Energie de la CEDEAO, prévoit l’accès ouvert au Réseau de Transmission Régional et l’accès des Clients Eligibles comme l’un des principes clés. Elle considère le droit d’accès des tiers comme un élément crucial de l’organisation de l’accès au système d’infrastructures énergétiques et comme le principal instrument permettant d’ouvrir le marché intérieur de l’électricité à la concurrence.
En effet, l’un des principaux enjeux de la régulation des réseaux, et notamment du commerce sur un marché libéralisé, est de garantir l’accès des tiers ou l’accès ouvert aux ventes et aux achats d’électricité avec des règles objectives, transparentes et non discriminatoires, d’empêcher les producteurs ou les distributeurs d’abuser de leur pouvoir monopolistique pour entraver la concurrence.
Sur le marché régional, tout participant, vendeur ou acheteur éligible doit pouvoir se connecter et utiliser le système de transmission et de distribution dans n’importe quel État membre de la CEDEAO, quel que soit l’opérateur ou le propriétaire du réseau de transport. Fournir un accès équitable au réseau de transport au niveau national est l’une des premières étapes vers un accès ouvert total au niveau régional. Cependant, bien que tous les États membres de la CEDEAO se soient engagés à libéraliser leurs secteurs de l’électricité et à établir un marché régional ouvert et compétitif, dans la pratique, peu d’entre eux ont ouvert l’accès à leur réseau.
L’ARREC doit donc s’efforcer d’éliminer toutes les barrières et contraintes pour ouvrir l’accès au réseau dans tous les États membres et assurer la libre circulation de l’énergie électrique comme prévu à l’article 7 du protocole sur l’énergie et à la directive précitée. La directive dispose à cet effet que l’ARREC est chargée de spécifier, par voie de règlement, les conditions spécifiques d’accès des tiers au réseau de transport régional, après consultation des parties prenantes. À cette fin, l’ARREC a déjà approuvé la Méthodologie tarifaire pour les coûts et tarifs de transport régionaux par la Résolution N ° 006 / ERERA / 15 du 18 août 2015. Pour sa mise en œuvre, l’ARREC travaille à développer un modèle de tarification de transport. Egalement dans le cadre de l’élaboration de modèles de contrats et d’un contrat standard pour la connexion et l’utilisation du réseau régional, l’ARREC s’apprête à adopter les procédures d’accès et d’utilisation du service de transport WAPP (WTSAUP). Un groupe de travail composé d’exploitants de réseaux de transport d’électricité dans la région et de certains organismes de réglementation nationaux y travaille.
En ce qui concerne le droit à un libre accès au système de transmission du marché régional, cela nécessite certaines réformes institutionnelles et réglementaires au niveau national qui impliquent l’acceptation et la transposition de ces principes et des règles et procédures transparentes. Compte tenu de l’organisation et de la situation actuelles des secteurs nationaux de l’électricité dans la région de la CEDEAO, cela se fera par le biais d’une approche progressive du transit des systèmes verticalement intégrés vers des marchés nationaux ouverts à la concurrence.
Ainsi, l’ARREC va élaborer et adopter des principes et des règles afin de spécifier comment cela devrait être mis en œuvre (exigences institutionnelles, légales et réglementaires pour un accès minimal, critères et seuils d’éligibilité, etc.). L’objectif de l’ARREC est de parvenir à un consensus sur une stratégie permettant d’élaborer des critères et des règles régionales largement acceptables.
Rôle du régulateur national
Le développement d’un marché régional de l’électricité nécessite une cohérence entre les réglementations nationales et régionales.
Au niveau national, dans un marché ouvert et concurrentiel, le régulateur doit veiller au respect des conditions d’éligibilité et au respect des nouvelles règles d’accès et d’utilisation des réseaux. Pour cela il dispose d’un pouvoir d’enquête, d’arbitrage et de sanction.
Etat de mise en œuvre de la mesure
Certains pays de la CEDEAO ne disposent pas de la structure de gouvernance institutionnelle nécessaire pour réussir à faire respecter le libre accès, même si le cadre juridique est en place. En effet, les dispositions de la loi sur le libre accès peuvent rester en grande partie sur papier si l’une des conditions suivantes se présente: (i) l’État intervient dans les opérations du marché de l’électricité et n’a pas l’autorité légale ou institutionnelle pour empêcher ou contrecarrer cette intervention; ii) les opérateurs agissent d’une manière qui s’écarte substantiellement de la législation nationale ou des règles établies par le régulateur national, par exemple en se rangeant du côté du gouvernement local ou du service local pour refuser le libre accès aux consommateurs éligibles; ou (iii) il y a un manque de directives d’accès libre techniquement saines, uniformes, clairement formulées et appliquées de manière transparente.
L’accès ouvert aux réseaux électriques est la pierre angulaire vers un marché régional de l’électricité plus efficace. Sur certains marchés régionaux, notamment dans l’Union européenne, les interconnexions transfrontalières ont été un instrument essentiel d’intégration des marchés nationaux de l’électricité.
L’harmonisation de l’organisation des marchés nationaux peut commencer par des formes de concurrence relativement limitées sur le marché avant d’élargir l’accès au réseau. Par exemple, la restructuration des accords de vente d’électricité en gros peut passer des transactions au sein d’une entreprise d’électricité intégrée à l’entrée des IPP, puis ouvrir l’accès aux réseaux électriques aux grands utilisateurs, et éventuellement aux échanges bilatéraux entre les producteurs et les distributeurs.
L’organisation harmonisée du marché dans les États membres de la CEDEAO nécessite une forte coordination, un engagement politique fort des États membres de la CEDEAO, une coopération étroite entre l’ARREC et les autres institutions de la CEDEAO ainsi que les régulateurs nationaux.
Conclusions
En conclusion, il y a 10 ans, le Protocole de l’Energie de la CEDEAO (disposant entre autres de l’«Accès des tiers» et du «Commerce libre de l’énergie») a été ratifié par plus des deux tiers des pays de la CEDEAO (ce qui le rend applicable dans tous les pays de la CEDEAO). Il s’agit là d’un grand pas pour la libéralisation du commerce de l’électricité pour le plus grand bénéfice de nos populations. C’est pourquoi l’ARREC veille dans ce cadre au développement de ce marché régional ouvert et compétitif en travaillant notamment à la mise en place d’un environnement réglementaire et économique favorable. Les principaux objectifs visés sont entre autres d’assurer la compatibilité entre la structure des marchés nationaux et le fonctionnement du marché régional, et réaliser l’harmonisation institutionnelle de la structure des marchés nationaux qui devraient au moins permettre l’accès des tiers aux réseaux nationaux et régionaux.